Lunar Aurora, son second port d'attache, alors en sommeil, Benjamin König peut se concentrer sur Trist dont il tient
maintenant seul la barre. Avec Willenskraft,
sa quatrième exploration (en comptant le recueil Initiation) sous cette bannière
qu'il ne faut surtout pas confondre avec son homologue tchèque, le musicien
semble, à première vue et à première vue seulement, revenir à un format plus
classique après un Hin Fort qui contenait, en autres, une longue
piste de près d'une heure. Au contraire, la cuvée 2009 déroule un menu en six
plages. Mais cette architecture morcelée ne doit pas vous tromper : ces titres
forment davantage les différents pans d'un seul bloc que des morceaux
individualisés. De fait, Willenskraft,
la volonté et le pouvoir en français, doit absolument être appréhendé comme un
ensemble indivisible et cohérent, une unique complainte de plus de 50 minutes .
La manière dont chaque partie se fond dans celle qui lui succède participe
notamment de cette construction conceptuelle, de même que ce constant bruit du
ressac qui répand tout du long ces sonorités aux confins de l'étrange. L'Allemand
poursuit le travail amorcé par les précédents albums et ce faisant grave un
monument de black metal ambient minimaliste et lancinant ; il repousse jusque
dans ses derniers retranchements la notion de répétition, ici portée au niveau
d'un art hypnotique. Essentiellement instrumental (le chant, écorché, reste
très lointain et scande plutôt des cris d'aliénés que des paroles à proprement
dit), cet opus débute par un tableau de plus de 12 minutes, entièrement rempli
par le bruit de la mer. Mais loin de l'envelopper dans une atmosphère
contemplative, ces sons confèrent à cette entame une résonance inquiétante,
noire presque mystique. En un fondu enchaîné superbe, "Bewusstsein"
meurt en fusionnant avec le démentiel "Wagemut", qui ne se déploie
qu'après de longues minutes bercées par cette mélopée maritime. Puis, les
guitares décollent crescendo, érigeant des riffs répétitifs qui confinent à la
transe. Le maître des lieux y conjugue avec une puissance implacable metal noir
et dark ambient au point d'atteindre une dimension quasi transcendantale. A
nouveau, "Zweifel" n'est qu'une longue respiration aux bords du
fantastique qui précède une pulsation trippante, tranchée par des notes de
pianos d'une gravité mortuaire plus proche de la musique classique
contemporaine que du black metal et que soulignent tout d'abord le
"chant" des mouettes. Une tension palpable traverse l'ensemble,
tandis que les guitares surgissent, oppressantes, chargées d'une négativité
absolue. Incantatoires, des lignes vocales échappées d'un ailleurs
insaisissable, y soufflent tel un écho spectral. Willenskraft termine son voyage avec deux
plaintes fantomatiques : "Verhinderer" et surtout
"Wandlung", vibration immense et envoûtante qui atteint une forme
d'Absolu et qui s'achève sur ce bruit du ressac, contribuant à donner une forme
cyclique à cet album. Trist vient donc de livrer un chef-d'oeuvre d'une
chiantise pénible pour 99% de la population qui le jugera sans intérêt mais
d'une beauté ténébreuse pour la minorité restante, bande-son hypnotique au
pouvoir d'évocation sans fin.
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