Trinacria, qu’est-ce que c’est ? Quelques
éléments de réponse. Roulements de batterie apocalyptiques encadrés par des
riffs noirs, vicieux et viciés au goût de ferraille, qui vont et viennent d’une
manière obsédante d’où s’échappent des vocalises davantage parlées que chantées
ou même hurlées, inquiétantes, féminines ou purement black metal, peinture
industrielle d’un monde en pleine décrépitude gangrené par la lèpre urbaine. Un
climat malsain, froid et déshumanisé s’installe d’emblée le long de cette pulsation
lourde et massive. Fin du premier acte. Un second s’enchaîne, monstre pollué
par des strates de bidouillages stridents et cauchemardesques. Le rythme est
cette fois plus rapide. Et il y a ces riffs immédiatement reconnaissables car
ils portent le sceau de celui qui les a forgé : Ivar Bjornsson, le golem
de Enslaved. De fait, cette deuxième partie, presque quasiment instrumentale
d’une œuvre qui en comporte six au total, pensée comme un seul et unique titre,
a de forts relents du fameux drakkar norvégien, mais un drakkar rongé par des
influences indus et noise injectées par le duo féminin Fe-Mail. Au départ
simple projet live du grand barbu avec ces charmantes demoiselles, Trinacria
est désormais un vrai groupe depuis l’adjonction de quatre autres musiciens
dont deux autres membres d’Enslaved, le hurleur Grutle et le mercenaire de la
six-cordes, Ice Dale, décidémment de tous les bons coups actuellement (I,
Audrey Horne mais aussi Gorgoroth pour dépanner). Si Enslaved depuis ces
dernières années, se mue de plus en plus en un laboratoire sonore où le black
metal est un terreau fertile pour toutes les recherches, c’est un euphémisme
que d’affirmer que ce nouveau side-project repousse encore plus loin
l’expérimentation. Chants et guitares ne peuvent donc manquer d’évoquer l’aîné
viking (« Part III : Make No Mistake » notamment), tout comme
les éléments progressifs qui émaillent sa musique, pour autant on ne saurait
réduire Trinacria à une version indus et (parfois) bruitiste d'Enslaved. Le
groupe a son identité propre. Point de mythologie ni de mysticisme runique ici.
Ce n’est clairement pas le propos. Comme son nom le suggère, Travel Now Journey
Infinitely nous convie à une sorte de voyage, hypnotique par moment,
halluciné et malgré tout envoûtant toujours, dans un décor de ruine et de
désolation aux confins d’une folie rampante (le douloureux et pétrifié
« Part IV : Endless Roads »). Souvent schizophrénique, à l’image
de sa terminale montée en puissance, à la fois belle et noire, emportées par des
vocalises tour d’abord aériennes et contemplatives qui se transforment peu à
peu en cris hystériques. Cet album devrait permettre de faire patienter les
fans qui n’en peuvent plus d’attendre une nouvelle offrande d’Enslaved, que
l’on espère pouvoir savourer cet automne. C’est que c’est long deux ans. Mais
espérons aussi , au vu de sa réussite exemplaire que Trinacria ne se réduisent
pas à un projet éphémère car, énigmatique, ce premier galop d’essai est
assurément prometteur de plus grandes choses encore, ce qui ne sera pas un
mince exploit car nous sommes déjà pas loin du chef-d’œuvre. (cT08)
Black Metal | 47:14 | Indie Recordings
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