Centurions Ghost est un enfant de la Perfide Albion.
Cette précision vaut son pesant de plomb car à l’écoute de son art de la
douleur, ce n’est pas si évident. On l’aurait davantage imaginé ayant vu le
jour aux States tant le doom qu’il forge plonge ses racines dans un terreau
identique à celui des Saint Vitus, The Gates Of Slumber et autre Apostle Of
Solitude. Le paysage – ravagé – est donc posé. Sa seconde offrande, The Great
Work, est un édifice de granite au son épais comme une coulée de sperme après deux
jours d’abstinence. Centurions Ghost maîtrise tous les invariants du heavy doom
à la sauce ketchup : riffs usinés dans les aciéries, rythmes
pachydermiques qui vous écrasent, arrachent le papier peint de votre chambre,
chanteur à la voix rageuse qui dégueule
ses tripes à chaque fois (« Let Sleeping Corpses Die). Mais…car il y a un
mais, il y a toujours, au détour des morceaux, un détail qui rappelle ses
origines européennes. Ce son de claviers façon orgue hammond ouvrant le
grandiose « The Supreme Moment » qui évoque le fantôme de Deep Purple
(oui, pour moi, le Pourpre Profond est mort et ce, depuis 1993) ou aux
sonorités plus hantées à la King Crimson (« I Am God, You Are
Denied »), les guitares biberonnées au grand hard rock des seventies
(Purple à nouveau, Black Sabbath, forcément, comme sur « In
Defiance ») et ce chant plus mélodique bien que râpeux sur le plus
atmosphérique « Black Hearts Will Break » témoignent clairement que
Centurions Ghost a les deux jambes velues arquées au-dessus de l’Atlantique. De
fait, The Great Work, à l’imagerie empruntée aux Francs-maçons, se veut un
habile dosage entre la musicalité du heavy metal du vieux continent et le
visage plus âpre, plus rude, du pur doom US, dont il arbore la violence
épidermique, comme peut illustrer une enclume de l’acabit de « Bedbound
(In The House Of Doom) », qu’irriguent des coulées de six cordes
minérales. Si le groupe sait se poser le temps d’un instrumental qui lui permet
de faire parler son cœur (« Specimen N°7 », tout en arpèges dépouillés,
titre néanmoins complètement déglingué durant ses ultimes mesures),
généralement, c’est plutôt la poudre qu’il préfère laisser parler, une poudre
noire qui répand une profonde mélancolie. « Walking Through Walls »
et ses teintes psychédéliques, l’abyssal « I Am God, You Are
Denied », durant lequel Mark Scurr hurle son désespoir comme si demain ne
devait jamais succéder à aujourd’hui, sont à ce titre, deux blocs compacts,
tendus comme des verges turgescentes et surtout poissés par une noirceur pétrifiée. Avec cette seconde
offrande, Centurions Ghost enfonce encore plus le clou par rapport à
l’inaugural A Sign Of Things To Come. Que nous réserve l’avenir ? On en
frisonne d’avance… Un grand groupe et un grand disque donc.
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