Il est des albums dont on devine qu'ils laisseront
d'épais résidus dans notre mémoire, qu'ils creuseront de profonds stigmates
dans notre peau et ce, avant même d'en avoir écouté la moindre petite note.
"Dageraad", premier effort de Charnia, est donc de ceux-ci. Pourquoi
? Pour plusieurs raisons en fait. Pour l'origine géographique de ses auteurs,
la Belgique, terre qui sonne comme la promesse d'un art froid et granitique,
austère et minéral. Pour ConSouling qui est un label aussi rare que précieux
aux productions exigeantes. Pour ce visuel d'une beauté étrange enfin. Voilà.
Post-hardcore viscéral et émotionnel, "Dageraad" ne s'écoute pas
seulement, il se vit, se ressent en cela qu'il remue les chairs. S'il ne
s'affranchit pas (encore) de certaines invariants propres au genre, à commencer
par ces lignes vocales intrabilleuses, l'âme de cet opus se niche dans les
méandres de son intimité charbonneuse et instrumentale, laquelle explose
forcément lors des 16 minutes que déroule le terminal titre éponyme', 16
minutes durant lesquelles le groupe démontre aussi sa science de la retenue, de
la puissance larvée, du geyser retardé jusqu'à ses limites, un art presque
silencieux d'une épure admirable. Ainsi, plus de la moitié du titre ne réside
qu'en quelques notes minimalistes, poignée d'accords plus fantomatiques que squelettiques.
Et alors qu'on le croit toute entière de cette veine contemplative, 'Dageraad'
finit par durcir soudain le ton et les traits à l'arrivée des percussions et surtout du
chant tandis que les guitares se font ferrugineuses, charriant une tristesse
sans fin avant de mourir peu à peu sur un sustain funèbre et pointilliste. On retrouve cette même faculté à étirer
quelques notes de longs instants comme suspendus au-dessus d'un puits, d'un
gouffre aux mélancoliques émanations lors de 'Waeslandwolf' et plus encore 'Het
Dodenhuis' dont l'épicentre, brumeuse et pétrifiée, révèle une bouleversante
beauté. Avec ce premier essai austère et blafard, qu'aucune lumière ne parvient
vraiment à pénétrer et dont on sent bien qu'il ne fait que dévoiler un
potentiel encore prisonnier de sa gangue , Charnia réussit déjà à faire la
différence, à se distinguer sinon à tirer son épingle du jeu, suffisamment du
moins pour hanter l'esprit longtemps
après que son écoute se soit achevée. Pas très original peut-être mais pourtant
détenteur d'un son, d'une manière d'explorer le genre qui laisse à penser que
ces Belges ne sont pas qu'un groupe de plus mais bien davantage que cela... Une
bonne, une très bonne découverte même. (cT2014)
Atmospheric Sludge | 39:11 | ConSouling Sounds
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