Etre le chanteur d'un des groupes de Doom/Death les
plus grandioses - et des plus prolifiques ! - apparus depuis longtemps, Eye Of
Solitude pour ne pas le nommer, ne lui suffit pas. Non, artiste aux facettes
aussi multiples que les sobriquets, Daniel Neagoe ne peut donc trouver dans ce
seul projet matière à assouvir sa funèbre inspiration. Jamais très loin de la
chapelle doloriste dont il est un effrayant vicaire, l'homme aime à se
disperser, modelant son talent dans le caveau du Funeral Doom avec Deos ou dans
les sombres méandres d'un Black mortifère avec ce Colosus qui nous intéresse
aujourd'hui. Cela faisait un bon moment que nous guettions le premier signe de
mort de ce side-project solitaire, depuis les sinistres mise-en-bouche offertes
sur la page Bandcamp qui lui est dédiée, que furent "Intuneric" ainsi
que la reprise du "Red Snow" de Coldworld. Presque an plus tard,
Blestem débarque sous l'égide naturelle de Kaotoxin Records. Affirmer que cette
hostie séminale vient combler cette interminable attente tient de l'euphémisme
tant on tient là un monument indicible qui redonne (enfin) toute ses couleurs
(noires) à cet art abyssal de la douleur depuis trop longtemps incapable de
serrer le noeud autour de notre cou. Bien que Khrud n'en soit qu'une des pièces
constitutives, la filiation avec Eye Of Solitude n'est pas anodine. Colosus
partage ainsi avec son aîné un goût identique pour les complaintes étirées et
les menus remplis jusqu'à la gueule. A ce titre, on ne peut que louer
l'impressionnant travail du musicien qui en l'espace de trois ans à peine a
contribué à la réalisation d'un corpus d'albums gargantuesques. Tout le monde
ne peut pas en dire autant. Le caractère massif, colossal, de ces compositions
participent également de cette évidente parenté entre les deux projets, que
cultive enfin la présence en invité du décidément incontournable Déhà (Yhdarl
et bien d'autres encore), qui, après son duo avec Arnaud Strobl sur The Deceit de EOS, vient hanter
"La Apus". De là à dire que
ceux-ci ne sont que des frères-jumeaux, il y a un pas que nous ne franchirons
pas car, en dehors du fait qu'une même voix - quoique moins d'outre-tombeuse
ici - les unit, la comparaison s'arrête
là, encore que certains titres, certaines idées, ne dépareilleraient pas tout
fait au milieu d'un opus d'Eye Of Solitude. Moins monolithique, Blestem gronde
d'une puissance souterraine et rampante. Il ouvre les veines d'une tristesse
mortuaire, qui n'est pas sans évoquer le fantôme du Katatonia originel, comme
l'illustre "Mormant". Amorcé par un prologue à la beauté triste et
languissante et cisaillé par le court éponyme dont seuls quelques cris possédés
l'empêche d'être totalement instrumental, l'opuscule a des allures de
procession funèbre, chemin pétrifié à travers la brume en même temps qu'appel
depuis limbes que bordent six blocs de pierre sculptés dans l'inexorabilité.
Enveloppantes, les nappes de claviers figent dans une nuit éternelle ces
plaintes souvent envoûtantes à l'image de la reprise de Coldworld, toujours glaciale
comme un linceul lessivé par la pluie tel le superbe "Intuneric".
Bien qu'emporté par quelques accélérations ("Dorinta"), un tempo
englué dans le désespoir mine Blestem tout du long jusqu'aux ultimes battements
qu'incarne le terminal "Pustiu" aux sinistres effluves Ambient.
Conjugué au presque parfait, ce coup d'essai est un coup de maître, réussissant
même à surpasser Eye Of Solitude dans son expression d'une inexorabilité
meurtrie. (La Horde Noire 2013)
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