Erlen Meyer, cela pourrait être le nom d'un auteur de roman policier, c'est en fait celui choisi par un groupe de Limoges. Mais cette première impression ne se révèle pas totalement fausse en cela que le collectif se nourrit étonnamment de cet univers noir, qu'il soit littéraire ou cinématographique, citant pèle-mêle Agatha Christie ou le grand Alfred Hitchcock, terreau fertile à l'expression d'un art aussi viscéral que poisseux, aussi minéral qu'épidermique. De cette sombre muse, Erlen Meyer tire sa principale singularité. Ce n'est pas la seule. Le choix du français comme vecteur de souffrance dans un genre, le Sludge, où il se fait rare, en constitue une seconde et pas des moindres car la langue de Molière confère à l'ensemble une dimension extrêmement personnelle sinon cathartique et alimente des textes d'une obscure et nauséeuse richesse. Il faut alors entendre Olivier Lacroix dégueuler son désespoir pour mesurer le degré de tension rageuse qui couve sous ce socle grésillant qu'érigent des guitares intenses, golem à la fois brutal et fragile ('Temple du cri'). Véritable bloc de manière en fusion, ce premier album éponyme, que précédaient le EP "Douleur fantôme" et des participations à divers compilations depuis 2005, est émaillé de plusieurs courtes pistes instrumentales lesquelles, loin d'être anecdotiques, jouent un rôle essentiel dans ce drame en mouvement, (fausses) respirations distillant un malaise vicieux ('Ex-Voto') ou des ambiances mortifères ('Les caprices de Remington'), participant d'une douleur écorchée. Balises doloristes, ces titres installent le terrain âpre grâce auquel les autres et (souvent) longues pulsations vont se déployer, étirant leurs lourdes ramifications, câbles puissants qui les dressent comme des sentinelles noires dans une nuit sans étoiles. Ecrits à l'encre grise d'une tristesse inexorable, 'Bouche cousue', 'Agatha' (hommage évident à la reine du crime) ou bien encore 'Sans fleur ni couronnes' ont quelque chose de fenêtre ouverte sur un spectacle secret dont nous ne devrions pas être les témoins. Mais plus que des morceaux indépendants l'un des autres, ces compositions sont comme les chapitres successifs d'un unique récit, s'emboîtant jusqu'à leur conclusion, funeste, forcément funeste. Mixé de main de maître par Magnus Lindberg (Cult Of Luna), "Erlen Meyer" dévoile un groupe dont l'univers personnel parvient à transcender un Sludge aux racines massives mais éprouvées. Fort d'un écrin sonore aussi singulier que son contenu, le groupe devrait s'affirmer dans les années à venir, promesse tout juste déflorée d'un art pétrifié par la douleur. (cT14)
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