Nombreux (la
majorité ?) sont ceux à dater en 1997 la fin de Ritchie Blackmore, jadis
prodige parmi les prodiges au service de la déesse Stratocaster, celui qui
inventa le hard rock grâce à ses soli accérés, aujourd’hui considéré comme un
vulgaire ménestrel pour fête de la bière en Allemagne. Nombreux sont pourtant
ceux aussi qui pensent que Blackmore’s Night a offert au virtuose un second
souffle après la reformation en demi teinte de Deep Purple. Nombreux surtout
sont ceux qui ont eu alors une révélation : la découverte d’une magnifique
chanteuse, Candice Night, que les plus attentifs n’auront sans doute pas manqué
de remarquer la timide participation au Stranger In Us All (1995), unique album
du Rainbow reformé. Pour résumé, ce nouveau projet de Ritchie Blackmore, on le
chérit ou on le méprise. C’est pourtant bien mal connaître le ténébreux anglais
que de croire que celui-ci est alors devenu fou. Bien que très éloigné de son
ancien répertoire, l’existence de Shadow Of The Moon n’a en réalité rien d’une
absurdité au sein de sa carrière. Les couleurs médiévales figuraient déjà au
menu de The Book Of Taliesyn de Purple en 1968. De même, certaines de ces
nouvelles chansons, réarrangées, auraient bien pu se glisser dans les opus de
l’Arc-En-Ciel période Dio (“ The Temple Of The King ” n’est parfois
pas très loin). La filiation est évidente pour qui n’est pas aveuglé par sa
mauvaise foi. Quand ce premier essai est sorti, beaucoup pensent (et
espèrent !) que Blackmore’s Night se limitera à un projet parallèle et éphémère
entre deux offrandes de Rainbow. C’est d’ailleurs de cette façon que Ritchie
l’a présenté durant les interviews qu’il avait données durant la promotion de
Stranger In Us All. Celui-ci n’ayant succitée qu’une indifférence polie, malgré
une tournée réussie, l’homme en noir décidera finalement de se concentrer
désormais uniquement sur ce nouveau groupe. Avec le recul, on ne peut que s'en
féliciter tant cet album demeure ce
qu’il a composé de mieux depuis Down To Earth de Rainbow (1979). Parenthèse
rafraichissante, Shadow Of The Moon voit pour la première fois le guitariste
écrire pour une chanteuse, au service d’une musique essentiellement acoustique
( seuls “ Writing On The Wall ”, le sublime “ No Second
Chance ” et le mélancolique “ Wish You Were Here ” sont éclairés
d’interventions électriques) entre rock et folk, teintée de quelques légères
touches progressives, qui doivent beaucoup à la participation de Ian Anderson
(Jethro Tull) et de sa flûte endiablée sur le final enlevé de “ Play Minstrel
Play ”. Ce qu’il y a de troublant et qui démontre la maturité à laquelle
Blackmore est parvenu aujourd’hui, est sa capacité à s’effacer au profit d’un
tout, à se fondre dans un ensemble porté par le chant aérien et cristallin de
sa compagne. Ces morceaux rayonnent des lignes vocales de la jeune femme, aussi
lumineuses que la guitare du maître est sombre. Entouré d’une bande de
ménestrels, le duo, bien servi par la production de Pat Regan, fidèle de
Ritchie (il était déjà responsable du mixage de The Battle Rages On de Deep
Purple en 1993), alterne chansons originales (“ Be Mine Tonight ”,
“ Spirit Of The Sea ”…) et reprises du répertoire classique, médiéval
et renaissance (“ Magical World ”, Play Minstrel Play ”,
“ Greensleeves ”…), balisés par de courtes pièces instrumentales, qui
permettent d’admirer le jeu fin et précis du maître (“ Minstrell Hall,
“ Memmingen ”). Riche de nombreux classiques (“ Shadow Of The
Moon ”, qu’introduisent des ambiances orientales, “ The Clock Ticks
On ”, “ Minstrell Hall ”, “ No Second Chance ” et
“ Mond Tanz ”), cette ballade médiévale et doucereuse affichent aussi
des accents plein de mélancolie (“ Ocean Gypsy ”), ce dont Blackmore
ne nous avait que rarement habitué. Vous l’aurez donc compris, Shadow Of The
Moon est une vraie merveille, pendant longtemps la plus réussie du couple, et
Blackmore’s Night un groupe exceptionnel et unique qui aura permis à Ritchie de
se renouveler et ce faisant, de toucher peu à peu un autre public qui ne le
connaissait pas forcément jusqu’à présent. Essentiel.
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