Plus les années passent et les créations avec, plus la musique façonnée par Aun tend à devenir fantomatique, sombrement onirique voire presque impalpable. Chaque album semble poursuivre l'évolution entamée par son prédécesseur, continuité artistique aboutissant à l'érection d'un édifice foncièrement personnel et puissamment vertigineux. De fait, "Alpha Heaven" reprend les choses là où les a laissé "Phantom Ghost", quelque part entre Drone atmosphérique et ambientgaze, étiquettes certes réductrices mais qui ont au moins le mérite de souligner l'ambivalence de cet art autant éthéré que sinistre. Martin Dumais et Julie Leblanc continuent d'explorer, de travailler ce qui tient davantage du kaléidoscope sonore que de la simple musique. Essentiellement instrumentales, quoiqu'un écho féminin trafiqué vient par moment percer ce brouillard synthétique comme sur 'War Is Near', leurs compositions sont toujours bâties autour d'une myriade de sons que répandent claviers, pianos, samples et guitares Drone, magma évanescent où la beauté virginale se mêle à des ambiances parfois étranges, aux portes du fantastique ('La Luna') et que drape un halo neigeux. Malgré sa grande unité, "Alpha Heaven" présente une belle variété de touches, flirtant là avec la Kosmische Musik allemande des années 70 ('Alpha' et ses teintes spatiales), ici avec une sorte de Deep Techno à la Bvdub ('Koenig') et une Ambient robotique avec le sombre 'Voyager' mais avec toujours en filigrane une mélancolie duveteuse qui voile l'ensemble d'une noirceur diaphane. Ambivalence encore d'un enregistrement analogique associé à des instruments contemporains, conception qui cultive ce climat étrange à la fois glacial et chaleureux, l'album a quelque chose d'un passage, d'un tunnel vers l'au-delà, d'une luminosité charbonneuse. Conjuguée au presque parfait, l'oeuvre distille des moments d'émotion pure. Le long et terminal 'Return To Jupiter', présenté ici dans une version remaniée, transcendée par rapport à celle ouvrant l'EP "Full Circle", caractérise au mieux cette richesse émotionnelle qui, durant presque onze minutes hypnotiques, décolle vers des sphères célestes inaccessibles à l'Homme pour atteindre une forme d'Absolu, voyage tripant que tricotent ces guitares Drone bourdonnantes et ces programmations aux couleurs vespérales. Moins atmosphérique que sur "Phantom Ghost", l'art des Canadiens gagne avec "Alpha Heaven" une dimension cosmique inédite, porte ouverte vers un inconnu à la beauté perturbante. Plus que jamais à part, Aun poursuit sa route, construisant un univers qui n'appartient qu'à lui, reconnaissable et pourtant toujours propice aux rêveries et aux trous noirs, ce qui le rend à la fois si loin et si proche... (Music Waves 2013)
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