Si pendant longtemps le Québec a peiné à
devenir le terreau d'une scène black metal fertile et intéressante (seul Frozen
Shadows a paru alors la symboliser), la situation a aujourd'hui bien évolué et
on ne compte plus désormais le nombre de formations qui prolifèrent dans les
congères gelées. Comme il existe un art noir à la norvégienne par exemple, on
peut évoquer un black metal à la québécoise dont l'identité réside moins dans
sa plastique musicale mais davantage dans sa thématique, dans sa philosophie identitaire
justement. De Forteresse à Monarque, de Utlagr à Sombres Forêts, tous ces
groupes partagent un même attachement à des valeurs ancestrales, à une
histoire, à une culture. Ils sont les hérauts d'une vision nationaliste du
genre qui passe notamment par le recours à la langue française présentée comme
une arme de résistance. Sui Caedere illustre bien ce paradigme. Monté par
Morphée, âme noire de Ciel nordique, autre entité insurrectionnelle, ce projet
est également défendu par Monarque dont l'investissement au sein de cette
chapelle n'est plus à démontrer. Si Thrène,
sa première oeuvre, s'arc-boute sur le socle minéral d'un metal noir lancinant
et suicidaire (c'est ce que signifie d'ailleurs sui caedere en latin) aux
confins du doom funéraire de très haute tenue, c'est surtout par son concept
qu'il retient l'attention et l'intérêt car il est tout entier consacré à la
figure d'Emile Nelligan, poète québécois qui aura vécu les deux tiers de son
existence dans un asile. Proche d'un Baudelaire ou d'un Edgar Poe, il n'aura
jamais vu de son vivant ses écrits bénéficier d'une publication officielle. Un
écrivain maudit dont les textes forment le fil conducteur de cet album. Ce
qu'il y a de fascinant avec ce dernier est qu'à son écoute, on a l'impression
que les poèmes de Nelligan ont été composés pour lui tant Sui Caedere est
parvenu à se les approprier avec intelligence et respect. On sent que le groupe
comprend les tourments de l'homme de lettres, qu'il partage les sentiments et
la solitude qui sont les siens. Thrène est
un recueil de six complaintes, balisées par trois pauses instrumentales, qui
sécrètent le fluide du désespoir le plus absolu. Le fond de la désolation
terminale est atteinte avec le long et pétrifié "Le cercueil", marche
funèbre prisonnière d'un linceul de tristesse. Il faut entendre Monarque hurlé
"...et mordu d'un désir joyeux et funéraire, espérant que le ciel m'y
ferait tomber mort". Parfois, le spectre du Filosofem de Burzum plane sur ces lignes
mortuaires ("Prélude triste", "Sérénade triste"...) dont la
plume trempe dans le suint pollué de guitares grésillantes tandis que
d'atmosphériques nappes de claviers sont comme les clous servant à fermer la
funèbre boîte. Thrène évoque
ces ambiances hivernales et nocturnes où le temps semble figé par un brouillard
fantomatique. C'est superbe et douloureux. On tient là très certainement une
des oeuvres majeures du black metal québécois dont on espère qu'elle ne restera
pas sans suite... (cT2009)
Black Metal | 54:46 | Sepulchral Productions
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